La Midone de BIOULX par Mlle Germaine

Connaissez-vous la légende de Midone de Bioulx ?

II est une boucle de la Molignée, où, dans ce site sauvage,  s’élève un majestueux ensemble de murailles trouées,  de tours fendues à coups de hache de géant.

C’est ce qui reste aujourd’hui du château de Montaigle. II y a huit cents ans, le sire Guillaume de Berlaymont y demeurait avec sa famille. Le Comte de Namur lui avait confié de rétablir l’ordre dans le comté, aux prises avec des brigands et des bandits, et il lui donna en fief, la seigneurie de Montaigle.

Aussitôt installé à Montaigle, le sire de Berlaymont se mit à la tâche. Avec Gilles, son fils, et ses troupes, il parcourt, par monts et par vaux, les chemins, pour rétablir l’ordre et mettre au pas les seigneurs du comté.

Cela ne lui valut pas beaucoup de sympathie, et même la haine des seigneurs; et, parmi les plus dangereux, était le sire Albert de Bioulx.

Plusieurs fois déjà, les troupes du sire de Bioulx s’étaient affrontées, en de sanglants combats, à celles du seigneur de Montaigle.

Mais, il n’y avait pas, dans le coeur de Gilles, son fils, que cette hargne belliqueuse qui l’affrontait aux ennemis de son père. Au contraire, Gilles aimait contempler les mille merveilles de ce site sauvage qui couvrent les collines aux abords du château.

Il aimait écouter, solitaire, la chanson de la Molignée en y jetant des cailloux, comme nous aimons encore le faire aujourd’hui.

Maintes fois, il s’écartait de la troupe des soldats pour contempler seul les douceurs d’une nuit étoilée ou le calme paisible des campagnes.

C’est l’un de ces jours que, parti seul, Gilles rencontre, auprès d’une source chantante, une ravissante demoiselle, là, comme lui, pour goûter la nature : c’est Midone, la fille du sire de Bioulx. Elle est si belle et son coeur est si doux que Gilles s’en éprend. Il voudrait rester là, que le temps s’arrête, que tout se taise autour d’eux, et lui parler. Mais il n’a besoin de mot dire : la belle a bien compris car elle aime Gilles aussi.

Imaginez, imaginez le profond désespoir qui les unit lorsqu’ils apprennent, de l’un et de l’autre, qu’ils sont les enfants de pères ennemis.

Il l’aimait, cependant, et, pris dans ce triste rêve, il n’écouta que son coeur et enfonça sa colère.

Seul, l’amour demeura dans leur âme légère.

Et le coeur en peine, elle rentra à Bioulx et lui, à Montaigle.

Et là, ce n’est point pour ourdir de noirs desseins que Gilles reste de longues heures à caresser la tête de ses lévriers, les yeux tournés vers Bioulx où Midone, au regard malheureux, tirant la moue, ne peut contenir son profond malheur.

Un jour, que son père lui paraît de bonne humeur, elle lui annonce la merveilleuse et terrible nouvelle.

Mais le belliqueux châtelain entre en colère et interdit à sa fille de quitter désormais les remparts du château.

Midone, dans ses habits, devenus sombres, va lasse, cheminant par les sentiers obscurs, une fois près d’un mur, une fois près d’un bois.

Les jours passent. L’automne vient; et puis, un soir, près de la chapelle du bois, elle voit un homme couvert d’un noir manteau. Avant qu’il ne se nomme, surprise, elle le craint. Mais c’est un ménestrel qui joue de la vielle et chante de sa voix douce. Midone l’écoute, il calme son chagrin. Elle propose à, son père de le prendre au château pour charmer les longues soirées d’hiver.

Son père, ravi de cette, demande plus sage, accepte, espérant ainsi adoucir la moue grise de sa fille.

Le ménestrel chante auprès du feu. Midone l’écoute; elle est charmée ! Mais un instant où ils sont seuls, il jette son manteau et tire sa fausse barbe : c’est Gilles de Berlaymont !

Emue, elle oublie en tremblant son père, avec un fol et incroyable espoir. Et- Gilles lui dit : «J’ai voulu, te revoir; si tu m’aimes, viens avec moi. Ma troupe de guerre attend près d’ici dans le bois sous la houppe obscure des arbres gris. Faisons face au destin !»

Elle acquiesça, aussitôt : «Que Dieu m’ait en sa main !» Et dans ses bras puissants, il l’étreint, il l’enserre; puis, à travers les bois, il 1’emmène en ses terres.

Le jour même, dans la chapelle du. château de Montaigle, on célèbre le mariage de Midone et de Gilles.

Quelques jours plus tard, le. vieux comte de Berlaymont envoie son chapelain à Bioulx pour tenter d’obtenir, entre les deux familles ennemies une saine réconciliation.

Mais, dès son arrivée, et le message apporté, la colère d’Albert, le seigneur de Bioulx, est aveugle et sans nom; immense est son courroux ! Il ameute ses gens et brandit son épée. La même nuit encore, il franchit la contrée. Et, avant que le soleil ne pointe à l’orient, le glacial cri d’assaut est clamé à tous vents !

Puis, au commandement, s’abat comme un tonnerre, une grêle de feu, de flèches et de pierres.

Il s’élance enfin, et gravissant le mont vers la porte de fer que garde Berlaymont.

Tous deux, au même instant, s’élancent l’un vers l’autre; pressés sous l’éperon, les fougueux destriers hennissent, se, cabrant; droits sur leurs étriers, serrant l’écu solide et brandissant la lance, ils frappent de fiers coups, haletant !

La balance semble devoir rester longtemps égale entre eux. Oh ! rage obstinée ! Oh ! le combat affreux! Les pesants épieux sur les cimiers, s’abattent; ils sont exténués, mais toujours, ils combattent !

Bioulx est le plus fort; Berlaymont, plus adroit !

Tous deux prennent du champ. Ensemble, ils foncent droit, l’un sur l’autre, effrayants, 1’oeil en feu, fous de rage.

Aussi prompt que l’éclair au milieu de l’orage, Bioulx vient d’asséner un coup plus violent.

Le cheval est atteint; on le voit chancelant, fléchir sur ses genoux; son oeil se ferme; il tombe, blessé mortellement; aussitôt, il succombe.

De la tour élevée où Midone debout, haletante, angoissée, avait tout observé, vers le champ du combat, elle se précipite. Oh ! la fatalité ! la rencontre maudite ! Gilles, désarçonné, sans défense, est livré ! «A mort !» clame Bioulx, de fureur enivré, et son glaive est levé !

Quand tout à coup, Midone, aux rênes du cheval, s’est jetée : «Oh.! pardonne ! par pitié, fais-lui grâce ! ne le frappe pas !» Le glaive est tombé.

Jour d’horreur ! Sous les pas du cheval de Bioulx, Midone est affaissée. Immobile, elle gît !

«Midone, es-tu blessée ? Parle-moi ! Entends-moi! Tourne vers moi tes yeux !» implore Gilles.

«Hélas !  La lumière des cieux ne luira plus pour elle ! Elle a cessé de vivre ! Morte ! Midone est morte !

Eperdu, hagard, ivre, Gilles poussa un grand cri qui remplit le val.

II a saisi son glaive, abattu son cheval, Bioulx à ses pieds! «Monstre, assassin, en garde! rugit-il !

Et l’essaim des chevaliers regarde muets et frémissants cet atroce combat. «Meurs, monstre, comme un chien !» et d’un coup, il abat la tête de Bioulx. Telle, dans la prairie, sous la tranchante faux, roule dans l’herbe fleurie.

Justice était rendue !

A l’instant, a cessé le massacre hideux.

Cependant le vainqueur, de ce combat amer est. un autre vaincu. Il gagne, mais il perd … sa Midone adorée.

Où ses pas le dirigent, où il voit sa tendre amante et ses pleurs qui l’affligent.

II vend son héritage et son château maudit à un seigneur de Flandre fuit le dur pays.

Il partit pour la Terre Sainte et ne reparut plus jamais.

Aujourd’hui encore, certains prétendent qu’à la nuit tombante, lorsque tout se tait et que le noir enveloppe la colline, on aperçoit quelques fois, un fantôme dans les ruines.

Tous les Dix ans, le jour de Toussaint, au premier coup de minuit, c’est son cri déchirant et prolongé qui s’élève des ruines de Montaigle.

Certains disent que c’est Midone qui appelle son mari.

N.B. Cette histoire, nous la devons au poète gantois Philippe Blomart qui, en visitant les ruines, il y a plus de cent ans, créa cette légende. Depuis, elle fait son chemin de bouches à oreilles.
La présente version de ce récit a été préparée par Mlle Germaine Saint-Vitu.